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Célébrer notre foi

Célébrer notre foi
Comme notre expérience personnelle et l’histoire de l’Église le montrent, « à l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » [1].
EDITORIAUX25 juillet 2014
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socle du calice provenant de la Congrégation des Sœurs de la Charité à Nevers. Argent doré, émail. Poinçon de Paul Brunet. Insculpé en 1871.
C’est pourquoi le Catéchisme de l’Église Catholique, après avoir exposé les contenus de la foi (partie I), s’avance dans la célébration du mystère chrétien (partie II) : l’objet de la foi est appelé à être célébré et à se transmettre dans les actions liturgiques.

Le Christ a voulu que le mystère de notre salut, révélé, manifesté et accompli en sa Personne, se rende présent à travers les siècles dans la liturgie, en donnant la vie à ceux qui y participent. C’est pourquoi la foi n’est pas un ensemble de véritésthéoriques ni ne peut être contemplée comme des rites lointains ayant une influence plus ou moins grande sur notre vie quotidienne. Il existe un lien intime entre la lex credendi et la lex orandi, entre la foi et la liturgie. Lorsque l’Église célèbre les sacrements, elle confesse la foi reçue des apôtres. Sans la liturgie et les sacrements, nous ne pourrions pas professer pleinement notre foi, n’ayant pas la grâce qui soutient la vie chrétienne. Pour sa part, la liturgie ne doit jamais être séparée du mystère de la foi, car « c’est ce Mystère du Christ que l’Église annonce et célèbre dans sa Liturgie » [2]. La liturgie est l’actualisation du salut opéré par le Christ sur la croix : « Par la Liturgie le Christ, notre Rédempteur et Grand Prêtre, continue dans son Église, avec elle et par elle, l’œuvre de notre rédemption. [3] »
Voilà pourquoi Benoît XVI nous encourageait à voir l’Année de la Foi comme l’occasion de confesser pleinement notre foi et d’« intensifier la célébration de la foi dans la liturgie, et en particulier dans l’Eucharistie » [4]. Nous sommes tous appelés à redécouvrir les contenus de la foi professée, aussi bien dans sa célébration que dans notre vie. La liturgie nous place devant le Mystère du Christ pour que nous vivions de lui et nous lui rendions témoignage.
L’Église, fidèle au commandement du Seigneur, non seulement rappelle les événements qui nous ont sauvés, mais elle les actualise, les rend présents. Loin d’être une simple commémoration, il s’agit de la présence réelle et objective du mystère du Christ. L’histoire du salut peut être considérée en trois étapes : une première où Dieu a progressivement révélé le mystère resté caché depuis les siècles [5], en manifestant sa volonté aux patriarches et aux prophètes ; une deuxième, quand vint la plénitude du temps et que Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale [6] ; une troisième enfin, le temps de l’Église où le Christ rend son action salvifique présente à tous les hommes « par le sacrifice et les sacrements autour desquels gravite toute la vie liturgique » [7]. Le mystère pascal ne reste pas dans le passé, car il transcende le temps : « Tout ce que le Christ est, et tout ce qu’il a fait et souffert pour tous les hommes, participe de l’éternité divine et surplombe ainsi tous les temps et y est rendu présent. L’Événement de la Croix et de la Résurrection demeure et attire tout vers la Vie.[8] » L’Esprit Saint actualise le mystère du Christ, principalement dans l’action liturgique, où il annonce et célèbre sacramentellement l’unique mystère salvifique. C’est pourquoi la liturgie est « le “lieu” privilégié de rencontre des chrétiens avec Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » [9].
Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu, quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu’on eût dites de feu […]. Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint [10]. L’effusion de l’Esprit Saint marque le début du tempus Ecclesiæ, le temps de l’Église. Dans la liturgie, le Père est glorifié par le Fils — qui s’associe l’Église et chacun de nous — sous l’action de l’Esprit Saint. Tel est le Mysterium fidei, le Mystère de notre foi. Le Christ, assis à la droite de Dieu le Père, nous met en contact avec son mystère pascal et nous unit à la gloire qu’il rend au Père. Ce n’est pas quelque chose de purement humain, ce n’est pas l’assemblée qui s’autocélébre. La liturgie n’est pas non plus un ensemble de rites extérieurs. C’est le Christ lui-même qui rend possible que le mystère pascal, événement central de notre salut, devienne présent par l’action de l’Esprit Saint. C’est là la merveille, la nouveauté et la singularité de la liturgie, qui nous permet de prendre part à une action qui est celle de Dieu lui-même. C’est lui le vrai sujet principal. C’est pourquoi l’attitude prédominante de chacun de nous au cours de la célébration liturgique ne consiste pas à faire mais à écouter, à s’ouvrir à l’action de Dieu et à la recevoir par l’intermédiaire de Jésus-Christ, avec l’aide de l’Esprit Saint.
La liturgie est « le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » [11]. Cela s’applique spécialement à l’Eucharistie. En nous incorporant à lui dans l’Eucharistie, le Christ nous unit à son sacrifice pour nous offrir à Dieu le Père et fait de nous ses instruments pour attirer à lui tous les hommes. Dans l’Eucharistie nous participons à la Pâque du Seigneur, qui résume et réalise la miséricorde de Dieu envers les hommes [12]. En instituant l’Eucharistie, Jésus-Christ a donné à l’Église « l’actualisation permanente du mystère pascal. Par ce don, il instituait une mystérieuse “contemporanéité” entre le Triduum et le cours des siècles » [13]. Aucun de nous n’est un sujet passif se limitant à recevoir quelque chose : « L’Eucharistie nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas seulement le Logosincarné de manière statique, mais nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande. [14] »
Sous cet angle, nous comprenons mieux les sentiments exprimés par le bienheureux Jean Paul II : « J’ai pu célébrer la Messe dans des chapelles situées sur des sentiers de montagne, au bord des lacs, sur les rives de la mer ; je l’ai célébrée sur des autels bâtis dans les stades, sur les places des villes… Ces cadres si divers de mes célébrations eucharistiques me font fortement ressentir leur caractère universel et pour ainsi dire cosmique. Oui, cosmique ! Car, même lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de campagne, l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde. Elle est un lien entre le ciel et la terre. Elle englobe et elle imprègne toute la création. Le Fils de Dieu s’est fait homme pour restituer toute la création, dans un acte suprême de louange, à Celui qui l’a tirée du néant. C’est ainsi que lui, le prêtre souverain et éternel, entrant grâce au sang de sa Croix dans le sanctuaire éternel, restitue toute la création rachetée au Créateur et Père. Il le fait par le ministère sacerdotal de l’Église, à la gloire de la Trinité sainte. C’est vraiment là le mysterium fidei qui se réalise dans l’Eucharistie : le monde, sorti des mains de Dieu créateur, retourne à lui après avoir été racheté par le Christ. [15] »
C’est pourquoi toutes nos actions doivent converger vers la messe. C’est là que nous rendons gloire au Dieu Un et Trine, unis au Christ, par l’Esprit Saint et dans l’Église. La sainte messe est le don de la Trinité à l’Église. On comprend ainsi que la messe soit le centre et la racine de la vie spirituelle du chrétien [16]. La participation — ou la célébration dans le cas des prêtres — quotidienne à la sainte messe ne peut être une activité parmi d’autres dans la journée, mais un moment unique. Lorsque nous sommes conscients de la grandeur du mystère célébré nous comprenons plus facilement l’importance du recueillement, de la ponctualité, du soin des attitudes et nous sommes conscients de l’utilité d’un missel pour mieux suivre les lectures et les prières. Si nous vivons la célébration eucharistique avec attention, foi et gratitude, elle se révèle « formatrice dans le sens le plus profond du terme, en tant qu’elle promeut la conformation au Christ » [17].
Dans la messe la Très Sainte Trinité intervient, je le répète, d’une manière spéciale. Répondre à tant d’amour exige de nous un don total du corps et de l’âme : nous écoutons Dieu, nous lui parlons, nous le voyons, nous le mangeons. […] Vivre la Sainte Messe, c’est demeurer continuellement en prière, avoir la conviction que, pour chacun de nous, il s’agit d’une rencontre personnelle avec Dieu : nous adorons, nous louons, nous demandons, nous rendons grâces, nous réparons pour nos péchés, nous nous purifions, nous nous sentons unis dans le Christ avec tous les chrétiens. Il nous est peut-être arrivé de nous demander comment répondre à tant d’amour de Dieu ; nous avons peut-être désiré voir clairement exposé un programme de vie chrétienne. La solution est facile et à la portée de tous les fidèles : participer amoureusement à la sainte messe, apprendre à rencontrer Dieu dans la messe, parce que ce sacrifice contient tout ce que Dieu veut de nous. Permettez-moi de vous rappeler ce que vous avez eu si souvent l’occasion d’observer : le déroulement des cérémonies liturgiques. Si nous les suivons pas à pas, il est très possible que le Seigneur fasse découvrir à chacun de nous ce qu’il doit améliorer, quels sont les défauts qu’il doit déraciner, et quel doit être notre comportement fraternel avec tous les hommes [18].
La liturgie, et en particulier la liturgie eucharistique, transforme notre existence. Dans une certaine mesure, elle nous rend contemporains de l’oblation du Christ sur la croix. Il veut que l’offrande qu’il a faite de lui-même au Père soit notre propre offrande. Ainsi, dans la messe et à partir de la messe, nous pouvons transformer notre journée entière, notre travail, en une offrande agréable à Dieu le Père. La dynamique de la grâce possède un double mouvement. D’un côté, toutes les activités doivent converger vers l’Eucharistie et de l’autre, l’efficacité de l’Eucharistie rejaillit sur toutes les activités. Comme notre Père l’a écrit :Toutes les œuvres des hommes sont réalisées comme sur un autel, et chacun de vous, dans cette union d’âmes contemplatives qu’est votre journée, dit d’une certaine manière sa messe, qui dure vingt-quatre heures, en attendant la messe suivante, qui durera à son tour vingt-quatre heures, et ainsi jusqu’à la fin de notre vie [19]. Ayons à cœur, pendant cette Année de la foi, de faire que notre journée entière se transforme en une messe, en vivant avec plus de profondeur encore la célébration eucharistique.
La participation à l’Eucharistie n’est pas sans rapport avec nos autres activités. « Il n’y a rien d’authentiquement humain — pensées et sentiments, paroles et actes — qui ne trouve dans le sacrement de l’Eucharistie la forme appropriée pour être vécu en plénitude. Ici apparaît toute la valeur anthropologique de la nouveauté radicale apportée par le Christ dans l’Eucharistie : le culte rendu à Dieu dans l’existence humaine ne peut pas être cantonné à un moment particulier et privé, mais il tend de par sa nature à envahir chaque aspect de la réalité de la personne. Le culte agréable à Dieu devient ainsi une nouvelle façon de vivre toutes les circonstances de l’existence où toute particularité est exaltée en tant qu’elle est vécue dans la relation avec le Christ et offerte à Dieu. [20] »
Nous pouvons dire que la force de la célébration eucharistique est telle qu’après sa conclusion, elle se prolonge. Le chrétien ne devrait pas cesser de louer, de bénir, de rendre grâce, de demander, uni au sacrifice du Christ sur l’autel. La vie est appelée à se transformer en une liturgie qui dure vingt-quatre heures, où nous offrons à Dieu notre existence entière sur l’autel du cœur. Les activités quotidiennes sont le lieu de ce culte spirituel dans lequel chaque chrétien s’offre au Père, par le Fils et dans l’Esprit Saint. La messe — « notre » messe, Jésus [21] — devient le centre et la racine de la journée : le renvoi à la fin de la messe — ite, missa est : allez, vous êtes envoyés — exhorte précisément les fidèles à faire fructifier dans leur vie ce qu’ils viennent de vivre. Saint Josémaria partageait sa journée en deux parties : action de grâce et préparation à la messe du lendemain.
Très unis à Jésus dans l’Eucharistie, nous obtiendrons une présence de Dieu continuelle, au beau milieu des occupations ordinaires propres à la situation de chacun pendant son pèlerinage terrestre, en cherchant le Seigneur à tout moment et en toutes choses. Si notre âme abrite les mêmes sentiments que le Christ sur la Croix, toute notre vie deviendra une réparation continuelle, une demande assidue et un sacrifice permanent pour l’humanité tout entière, car le Seigneur vous donnera un instinct surnaturel pour purifier toutes nos actions, pour les élever à l’ordre de la grâce et les transformer en instruments d’apostolat. Ainsi seulement nous serons des âmes contemplatives au milieu du monde, comme notre vocation nous le demande, et nous deviendrons des âmes vraiment sacerdotales, faisant de toutes nos activités une louange ininterrompue de Dieu[22].
[1]. Benoît XVI, Litt. enc. Deus caritas est, 25 décembre 2005, n° 1.
[2]. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 1068.
[3]. Ibid., n° 1069.
[4]. Benoît XVI, Motu proprio Porta fidei, 11 octobre 2011, n° 9.
[5]. Col 1, 26.
[6]. Ga 4, 4-5.
[7]. Concile Vatican II, Const. Sacrosanctum Concilium, n° 6.
[8]. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 1085.
[9]. Bienheureux Jean Paul II, Litt. apost. Vicesimus quintus annus, 4 décembre 1988, n° 7.
[10]. Ac 2, 1-4.
[11]. Concile Vatican II, Const. Sacrosanctum Concilium, n° 10.
[12]. Entretiens, n° 123.
[13]. Bienheureux Jean Paul II, Litt. enc. Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003, n° 5.
[14]. Benoît XVI, Litt. enc. Deus caritas est, 25 décembre 2005, n° 13.
[15]. Bienheureux Jean Paul II, Litt. enc. Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003, n° 8.
[16]. Quand le Christ passe, n° 87.
[17]. Benoît XVI, Ex. ap. Sacramentum caritatis, 22 février 2007, n° 80.
[18]. Quand le Christ passe, n°
[19]. Dialogue avec le Seigneur, p. 94.
[20]. Benoît XVI, Ex. ap. Sacramentum caritatis, 22 février 2007, n° 71.
[21]. Chemin, n° 533.
[22]. Saint Josémaria, Lettre 2 février 1945, n° 11.
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