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ÉGLISE
Tiré du n° 09 - 2006

«La liturgie et les pauvres, ces deux trésors de l’Église»


Interview de l’archevêque Malcolm Ranjith, choisi par Benoît XVI comme secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements


Interview de Malcom Ranjith par Gianni Cardinale


Larchevêque Albert Malcolm Ranjith Patabendige Don, originaire du Sri Lanka, aura 59 ans à la mi-novembre. Rappelé à la Curie par le Saint Père, il a été nommé secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements le 10 décembre 2005: c’était la deuxième nomination importante du pontificat de Benoît XVI après celle de William Joseph Levada comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Avec le nouveau secrétaire d’État, Mgr Tarcisio Bertone, qui vient de prendre ses fonctions, Mgr Ranjith fait donc partie du cercle des collaborateurs les plus étroits de la Curie romaine, personnellement choisis par le Pape.
30Jours lui a donc demandé d’approfondir certains aspects de sa biographie.

Don Albert Malcom Ranjith

Don Albert Malcom Ranjith

Excellence, comment est née votre vocation?
ALBERT MALCOLM RANJITH PATABENDIGE DON: Je suis né dans une famille de bons catholiques. Nous faisions partie d’une paroisse où l’on vivait avec joie la saine et bonne tradition de l’Église et où beaucoup de simples fidèles se rendaient quotidiennement à la messe. Elle était tenue par un bon missionnaire français, un oblat de Marie Immaculée, le père Jean Habestroh, qui a tout donné pour Jésus et pour son Église. Un vrai modèle de dévouement. C’est donc ainsi, grâce à cette foi intensément vécue dans ma famille et dans ma paroisse, que j’ai reçu dès mon enfance l’appel à me consacrer pleinement au service du Seigneur, et je l’ai mûri de manière presque naturelle, en devenant enfant de chœur.
Où avez-vous fait vos études?
MGR RANJITH: Dans une des écoles des Frères des écoles chrétiennes de Jean-Baptiste de la Salle, écoles d’excellente qualité, où la vie dévotionnelle était très intense. Nous récitions le rosaire tous les jours, et nous faisions presque tous partie de la Légion de Marie. J’ai eu de la chance, parce que ces écoles ont développé non seulement mes connaissances scientifiques et ma formation culturelle, mais aussi ma vie spirituelle. Les Frères étaient des éducateurs exemplaires.
Vous avez fréquenté le séminaire majeur national de Kandy de 1966 à 1970...
MGR RANJITH: J’avais dix-huit ans lorsque j’y suis entré. Au début, mon père n’était pas très content, parce que j’étais l’aîné et le seul garçon. Mais ensuite, surtout grâce à ma mère, mes parents se sont mis d’accord et m’ont permis d’entrer au séminaire. Après des études de philosophie et une période passée hors du séminaire, Mgr Thomas Benjamin Cooray, le premier et le seul cardinal qu’ait eu le Sri Lanka, m’a envoyé à Rome, au collège de la Propagation de la Foi, pour compléter mes études théologiques.
Et vous avez été ordonné prêtre à Rome.
MGR RANJITH: Oui, le 29 juin 1975. Nous étions plus de 350 diacres ordonnés par Paul VI à l’occasion de l’Année Sainte. Ensuite, j’ai fréquenté l’Institut biblique pontifical où j’ai obtenu ma licence d’Écriture sainte au bout de quatre ans. Au cours de ces années, j’ai aussi eu la chance de pouvoir suivre un cours de huit mois à l’Université Hébraïque de Jérusalem, où les rabbins qui y enseignaient m’ont communiqué un grand amour envers la Parole de Dieu. Dieu et son amour pour l’humanité sont partout présents en Terre Sainte. Là-bas, cet amour est presque palpable, et l’air que je respirais chaque jour enrichissait ma vocation sacerdotale de nouvelles forces spirituelles.
Quels ont été vos maîtres?
MGR RANJITH: Je suivait les cours de celui qui était alors le père Carlo Maria Martini, intelligent et compétent, qui nous enseignait l’Évangile de saint Jean et la critique textuelle. J’avais aussi comme enseignant un autre jésuite, le père Albert Vanhoye, aujourd’hui cardinal, qui a été le rapporteur de mon mémoire de licence d’Écriture Sainte sur la Lettre aux Hébreux. À l’Université pontificale Urbanienne, j’ai également été marqué par la figure du père Carlo Molari, qui présentait la doctrine dogmatique de manière à la fois originale et intéressante, nous invitant au débat et nous ouvrant les yeux pour nous faire goûter la vraie valeur de la théologie. Il y avait beaucoup d’autres bons professeurs: je me souviens de Mgr Stefano Virgulin et du père combonien Pietro Chiocchetta, qui n’enseignaient pas de manière livresque, mais avec un foi intense en Jésus.
En 1978, à la fin de vos études, vous êtes retourné dans votre patrie.
MGR RANJITH: J’ai été l’adjoint du curé dans une région peu développée, dans un village de pêcheurs, tous catholiques. C’est là que j’ai commencé à découvrir le lien entre la théologie et la vie quotidienne des fidèles à travers le grand instrument qu’est la liturgie. Qui célèbre et prie intensément est aidé à mettre en pratique ce qu’il célèbre. Et puis j’ai été curé, toujours dans des villages de pêcheurs qui étaient très pauvres, mais dont la foi était grande. C’est justement à travers le contact avec cette réalité que j’ai découvert la nécessité que l’Église s’occupe aussi de la justice sociale. Depuis lors, l’amour pour la liturgie et l’amour des pauvres, ces deux trésors de l’Église, ont été la boussole de ma vie de prêtre, même si à l’époque je n’aurais jamais pensé que je finirais par devenir un jour le secrétaire de la Congrégation pour le culte divin...
Comment avez-vous aidé ces populations?
MGR RANJITH: J’ai utilisé les connaissances que j’avais à Rome et en Allemagne. J’ai appelé mes vieux amis, et grâce à Dieu, les aides sont arrivées. C’est aussi grâce à cette activité qu’en 1983, je suis devenu directeur national des Œuvres pontificales missionnaires, une charge que j’ai recouverte pendant dix ans. C’est ainsi que j’ai participé à de nombreuses rencontres avec les autres directeurs des Œuvres pontificales missionnaires disséminées à travers le monde entier. Ces réunions m’ont justement aidé à acquérir une vision vraiment catholique et universelle de l’Église.
En 1991, vous avez été nommé évêque auxiliaire de Colombo. Comment avez-vous vécu cette première expérience épiscopale?
MGR RANJITH: En tant qu’évêque auxiliaire, j’ai pu étendre ma présence à tout le diocèse et collaborer avec mon évêque ordinaire; j’ai aussi pu découvrir à quel point le peuple chrétien souhaite se sentir proche de ses pasteurs, dont il attend que leur vie reflète celle du Suprême pasteur, Jésus. Entre-temps, et sur requête de l’épiscopat, j’ai coordonné avec le gouvernement et le Saint-Siège la préparation du voyage de Jean Paul II au Sri Lanka, en février 1995. Il s’est agi encore une fois d’une grande expérience. Il était émouvant de voir nos simples fidèles se serrer autour du Pape dans un tel élan d’affection.
Un jeune père Ranjith, adjoint du curé du villagede pêcheurs de Kepungoda dans l’archidiocèse de Colombo

Un jeune père Ranjith, adjoint du curé du villagede pêcheurs de Kepungoda dans l’archidiocèse de Colombo

C’était la première foi qu’un pape touchait le sol du Sri Lanka?
MGR RANJITH: Non. Trente ans auparavant, en décembre 1970, à son retour d’Australie, Paul VI a fait étape à Colombo où il a célébré la messe à l’aéroport. J’étais encore un jeune séminariste à l’époque, et je me souviens encore de la joie avec laquelle les catholiques, mais pas seulement eux, se sont rassemblés autour du premier pape qui ait mis pied sur notre île.
Á la fin de 1995, vous êtes appelé à diriger le nouveau diocèse de Ratnapura, où vous êtes resté jusqu’en 2001.
MGR RANJITH: On m’a demandé de m’occuper d’un diocèse situé à l’intérieur du pays, qui venait juste d’être constitué, et j’ai accepté. J’y ai passé cinq années très heureuses, malgré les inévitables problèmes qui se posent surtout lorsqu’on doit mettre sur pied la globalité d’une structure diocésaine. J’ai appris à rester proche du clergé – qui était plutôt divisé à Ratnapura – et des fidèles, dont la majorité était et est encore très pauvres. Il ne s’agissait plus de pêcheurs, mais de cultivateurs qui travaillaient dans les plantations de thé.
Combien y avait-il de catholiques à Ratnapura?
MGR RANJITH: Seulement deux pour cent, mais les relations avec le reste de la population à grande majorité bouddhiste étaient excellentes. Lorsque j’ai pris mes fonctions d’évêque à Ratnapura, je suis allé rendre visite à tous les temples bouddhistes de la ville pour rencontrer les moines. Dès le premier jour, nous avons créé un organisme de dialogue et de coopération dans des domaines où cela est possible, comme le domaine social. J’ai noué une très forte amitié avec certains de ces moines, et il m’est arrivé de leur demander des conseils et des suggestions lorsque nous construisions de nouvelles églises.
Et pourtant, tout récemment, il a été question d’instaurer au Sri Lanka des lois interdisant la conversion d’une religion à l’autre...
MGR RANJITH: Il s’agit d’une question discutée au niveau national et due à la guerre qui dure depuis des années entre la minorité tamoul, composée essentiellement d’hindouistes, et la majorité cinghalaise, composée essentiellement de bouddhistes, et aussi aux activités répréhensibles de certaines sectes chrétiennes fondamentalistes. La majorité cinghalaise-bouddhiste a peur que les minorités, en particulier tamoul-hindouiste mais aussi les communautés chrétiennes qui se trouvent parmi les tamouls comme parmi les cinghalais, veuillent conquérir une position dominante dans la société, et alors elle réagit et elle essaie de les contrôler, en créant parfois un sentiment d’oppression. Je parle de la situation générale. Mais à Ratnapura, lorsque j’étais évêque, il n’y avait pas de problèmes, ne serait-ce que parce que cette région se trouve en dehors des zones les plus chaudes du conflit, situées au nord-est du pays.
La déclaration Dominus Iesus sur l’unicité salvifique de Jésus a été publiée en 2000. A-t-elle créé des problèmes dans le dialogue avec le bouddhisme?
MGR RANJITH: En fait, il y avait déjà eu un premier problème en 1994, lorsque a été publié le livre Entrez dans l’espérance, une interview de Jean Paul II par Vittorio Messori dans laquelle se trouvaient des phrases sur le bouddhisme qui ont créé des remous. Il faut dire aussi que la grande publicité donnée à ces affirmations était l’œuvre d’étrangers venus du dehors. C’est à cause d’eux que les journaux du Sri Lanka ont donné un tel relief à la nouvelle que le Pape avait attaqué le bouddhisme dans ce livre. Ces articles ont fait exploser les tensions, même si la plupart des gens n’avaient pas lu le livre du Pape. Mais un moine bouddhiste que je connaissais a écrit dans le Daily News, le premier journal en langue anglaise du Sri Lanka, un article dans lequel il défendait le Saint Père. Ce moine a écrit que, selon les indications de Bouddha lui-même, tous les enseignements devaient être soumis à la critique, y compris le sien, et que le Pape avait donc tout le droit de dire ce qui lui semblait négatif dans la religion bouddhiste. Paradoxalement, ce ne sont pas les bouddhistes, mais les théologiens catholiques qui ont été les plus critiques envers le Pape. C’est plus ou moins ce qui s’est passé avec Dominus Iesus: les attaques les plus virulentes sont venues des théologiens catholiques et non des autres. Il arrive souvent que dans ces affaires, on se laisse guider par les émotions plus que par une analyse des faits, et qu’on finisse par créer des situations antipathiques et inutiles.
Il reste que les leaders bouddhistes n’ont pas participé à la rencontre avec le Pape lors de sa visite au Sri Lanka, en janvier 1995...
MGR RANJITH: Pas les leaders, mais de très nombreux fidèles bouddhistes ont participé avec joie à cette rencontre. Je dois spécifier que l’autel principal où le Pape a célébré la messe sur l’esplanade de Galle Face avait été dessiné par un moine bouddhiste de nos amis qui avait refusé de se faire manipuler par les autres.
Le père Ranjith pendant une rencontre de promotion de l’enfance missionnaire, quand il était directeur des Œuvres pontificales missionnaires du Sri Lanka

Le père Ranjith pendant une rencontre de promotion de l’enfance missionnaire, quand il était directeur des Œuvres pontificales missionnaires du Sri Lanka

Revenons à l’actualité. Que pensez-vous de la tentative d’introduire des lois anti-conversion dans votre pays?
MGR RANJITH: Nous chrétiens, nous commençons par dire clairement à la majorité bouddhiste que nous ne désirons pas subvertir les traditions religieuses et culturelles dans lesquelles se reconnaît la majorité du peuple du Sri Lanka. Et puis, même si une loi de ce genre est approuvée, ses conséquences ne seront pas forcément toutes négatives. Cela voudra dire que le Seigneur veut mettre notre foi à l’épreuve et je ne doute pas qu’avec son aide, la foi de notre peuple chrétien se renforcera.
Le premier octobre 2001, on annonce votre nomination comme secrétaire adjoint de la Congrégation pour la Propagation de la foi. Quel est votre souvenir de cet appel à Rome?
MGR RANJITH: En 1995, je n’avais pas seulement été nommé évêque de Ratnapura, mais aussi secrétaire général de la Conférence épiscopale et président de la Commission pour la justice et la paix. J’ai beaucoup travaillé avec le vice-président de cette Commission, l’évêque de Mannar Joseph Rayappu, qui est d’ethnie tamoul, pour que le gouvernement de Colombo et les Tigres tamouls arrivent à entamer les négociations qui ont mené à un cessez-le-feu. Malheureusement celui-ci a été interrompu cet été. Je me souviens qu’avec Mgr Rayappu, nous avons réussi à conduire 26 moines bouddhistes dans la zone contrôlée pas les tamouls pour essayer de mettre fin à l’hostilité qui animait les bouddhistes et les tamouls les uns contres les autres, à cause des atrocités qui avaient été commises de chaque côté. La rencontre entre les deux groupes a été une expérience très positive. C’est juste au moment où j’étais absorbé par ces initiatives de paix que le nonce apostolique m’a appelé pour m’annoncer la décision du Pape de me nommer secrétaire adjoint à la Propagation de la Foi et me demander si j’acceptais. Devant le désir du Pape, j’ai dit oui. C’est ainsi que je suis arrivé à Rome pour accomplir ma mission dans la Congrégation sous la direction du cardinal Crescenzio Sepe.
Vous y êtes resté pendant environ deux ans.
MGR RANJITH: Cette période a été très intéressante. Pour moi, elle a représenté en quelque sorte une continuation du travail que je faisais lorsque j’étais directeur des Œuvres pontificales missionnaires au Sri Lanka. Au cours de ces quelque deux ans, j’ai essayé d’être le plus possible authentique, loyal et sincère dans mon travail. J’ai essayé de valoriser au maximum le rôle des directeurs nationaux des Œuvres pontificales missionnaires dans les différentes Églises locales, et de sauvegarder une transparence absolue dans toutes les délicates questions financières qui concernent ces œuvres.
Le 29 avril 2004, on apprend que vous êtes nommé nonce apostolique en Indonésie et au Timor Est.
MGR RANJITH: Après une période de réflexion, il m’a été demandé de devenir nonce apostolique. J’ai accepté avec grand intérêt, même s’il s’agissait pour moi d’une expérience neuve, dans un domaine que je ne connaissais pas encore. Lorsque j’étais évêque, j’avais collaboré avec la nonciature de Colombo, mais je n’avais pas eu la formation spéciale qu’ont les nonces. Je dirais qu’il s’est agi d’une expérience très riche, au cours de laquelle j’ai essayé de faire sentir à cette Église et à ses pasteurs que j’étais proche d’eux, et de manifester ainsi que le Saint Père, lui aussi, était proche d’eux.
Juste au moment où vous étiez à Djakarta, le terrible tsunami a ravagé le Sud-Est asiatique. Comment avez-vous vécu cette expérience?
MGR RANJITH: À ce moment-là, j’avais chez moi le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, un de mes très chers amis. Dès que nous avons appris la tragédie, nous avons interrompu le programme que nous avions déjà établi pour lui et nous sommes allés à Banda Aceh. Le voyage a été extrêmement fatigant, mais nous avons réussi à rejoindre les zones sinistrées. Le spectacle était terrible, on ne voyait que mort et destruction. Nous avons passé deux jours comme des missionnaires, nous avons dormi dans des logements de fortune, sans eau courante et sans électricité, mais nous avons été contents de pouvoir être aux côtés de la petite communauté catholique de Banda Aceh et de l’île de Nias. La voix du cardinal Schönborn, qui racontait son expérience aux radiotélévisions européennes, a aussi été déterminante pour obtenir la solidarité du monde entier. Ensuite, à travers le réseau de la Caritas et l’aide du Saint-Siège, nous avons réussi à mettre sur pied un sérieux programme d’aide à ces populations. Avec l’aide du cardinal archevêque de Djakarta, nous avons réussi à remettre sur pieds la Caritas indonésienne, organe ecclésial qui n’était plus opérationnel, et à élaborer des projets d’aide pour la reconstruction de ces régions. Je me souviens que nous avons participé à des réunions interminables, mais importantes, grâce auxquelles nous avons pu donner notre contribution en tant qu’Église catholique pour les populations frappées par cette effroyable tragédie.
Peu avant votre nomination comme nonce, L’Osservatore romano du 26-27 avril 2004 a publié votre commentaire de l’instruction Redemptoris Sacramentum «sur certaines choses qu’il faut observer et éviter concernant la Très Sainte Eucharistie», publiée quelque temps auparavant par la Congrégation pour le culte divin en liaison avec la Congrégation pour la doctrine de la foi...
MGR RANJITH: J’ai écrit cet article sur requête du préfet de la Congrégation pour le culte divin, le cardinal Francis Arinze. J’avais trouvé l’instruction en question très utile et très nécessaire, et j’ai donc été très content de la commenter.
Il s’agissait en quelque sorte d’un article prophétique, étant donné la charge que vous recouvrez aujourd’hui...
MGR RANJITH: Je ne sais pas, mais comme je vous l’ai dit, je me suis toujours intéressé à la liturgie, surtout dans ses implications pastorales, et j’ai toujours essayé de lire et de me documenter sur cette question. Je me rappelle aussi que lorsqu’il m’arrivait de rencontrer celui qui était alors le cardinal Ratzinger, nos conversations finissaient souvent par porter sur la liturgie.
Comment avez-vous connu le cardinal Ratzinger?
MGR RANJITH: C’était à propos du Sri Lanka. Le théologien Tissa Balasuriya avait écrit un livre, Mary and the liberation, dans lequel apparaissait une analyse théologique difficilement compatible avec la doctrine catholique. J’étais alors un jeune évêque de récente nomination, je me suis intéressé à ce livre et j’ai coordonné une commission épiscopale créée ad hoc pour étudier ce texte. En 1994, à la fin des travaux de cette commission, la Conférence épiscopale a émis un communiqué dans lequel on avisait les fidèles que ce livre ne reflétait pas la doctrine de l’Église. Ce communiqué a déchaîné une campagne de la presse mondiale contre nous et en faveur du père Balasuriya. La controverse a été tellement vive qu’on a commencé à enquêter à Rome. C’est ainsi que j’ai été rappelé dans la Ville éternelle pour expliquer ce qui se passait au Pape et au préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger. Les affirmations du père Balasuriya étaient tellement graves qu’elles ont été formellement condamnées par la Congrégation en janvier 1997 et qu’il a été lui-même l’objet d’une excommunication latæ sententiæ, qui a été retirée l’année suivante après une déclaration publique solennelle de l’intéressé.
C’est donc dans ce contexte que vous avez commencé à fréquenter le cardinal Ratzinger...
MGR RANJITH:Oui, je l’ai rencontré plusieurs fois et je saisissais ces occasions pour lui exposer mes impressions et mes préoccupations d’évêque, en particulier en ce qui concerne la question du dialogue interreligieux et les questions liturgiques. Lorsque ensuite j’ai été appelé à la Propagation de la Foi, j’ai eu l’occasion de rencontrer le cardinal Ratzinger plus souvent, y compris dans les réunions ordinaires du dicastère dont il faisait lui même partie. C’est ainsi qu’étant déjà un avide lecteur de ses livres, j’ai appris à en apprécier personnellement les dons d’humanité. J’ai toujours vu en lui un grand théologien et loin de trouver la moindre pédanterie dans ses paroles, je le considère comme une personne proche du Seigneur.
Vous êtes donc resté à peine plus de deux ans à Djakarta. Votre nomination comme secrétaire du Culte divin a été publiée le 10 décembre 2005. Vous attendiez-vous à ce nouvel appel à Rome?
MGR RANJITH: Je me rappelle que Benoît XVI m’a appelé en audience à Castel Gandolfo au cours de l’été 2005, vers la mi-septembre, et qu’il m’a demandé si je voulais accepter la nomination au poste de secrétaire de la Congrégation pour le culte divin. J’ai dit oui. Je me suis toujours intéressé à la liturgie, que j’ai toujours considérée comme la clé du rapport entre la foi et la vie, parce que de même qu’on célèbre la liturgie, de même on vit la vie chrétienne. D’un côté, la liturgie extériorise la foi, de l’autre, elle l’alimente. J’ai eu le cœur rempli de joie à l’idée de pouvoir donner ma modeste contribution sur ce point, qui tient très à cœur à Benoît XVI.
Mgr Ranjith avec le père Uwe Michael Lang, auteur du livre Rivolti al Signore. L’orientamento nella preghiera liturgica (Cantagalli, Sienne) à l’occasion de la présentation de ce volume, le 27 avril 2006

Mgr Ranjith avec le père Uwe Michael Lang, auteur du livre Rivolti al Signore. L’orientamento nella preghiera liturgica (Cantagalli, Sienne) à l’occasion de la présentation de ce volume, le 27 avril 2006

Excellence, votre première apparition publique en tant que secrétaire de la Congrégation pour le culte divin a été une conférence tenue à l’occasion de la présentation du livre Rivolti al Signore. L’orientamento nella preghiera liturgica [“Tournés vers le Seigneur. L’orientation dans la prière liturgique” ndr] (Cantagalli, Sienne 2006, pp. 150, Euro 14,90). Son auteur, Uwe Michael Lang, est un oratorien d’origine allemande qui réside à Londres et la présentation a eu lieu le 27 avril dernier à l’Institut patristique Augustinianum de Rome. Le volume, édité en allemand en 2003, contient une préface de celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger et il a été publié pour la première fois en italien dans le numéro de mars 2004 de 30Giorni. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans ce livre?
MGR RANJITH: J’avais déjà lu ce livre et la très belle préface du cardinal Ratzinger. J’ai donc tout de suite accepté cette invitation, et cela a été l’occasion de faire naître un débat très positif pour l’Église. On parle beaucoup de participation des fidèles à la liturgie. Mais les fidèles participent-ils plus si le prêtre célèbre la messe versus populum ou s’il célèbre tourné vers l’autel? En effet, il n’est pas dit que cette participation soit plus active si le prêtre célèbre tourné vers le peuple; il se peut qu’au contraire, le peuple se distraie. De même, s’agit-il d’une vraie participation lorsqu’au moment du baiser de paix, on voit se créer une grande confusion dans l’église, avec des prêtres qui arrivent parfois jusque dans les derniers rangs des fidèles pour les saluer? S’agit-il de la actuosa participatio, souhaitée par le Concile Vatican II, ou simplement d’une grande distraction qui n’aide en rien à suivre avec dévotion la suite de la messe – à part qu’on en oublie même parfois de dire l’Agnus Dei... Je le répète, le livre de l’abbé Lang a été une provocation extrêmement utile, à commencer par l’introduction dans laquelle le cardinal Ratzinger rappelle que le Concile n’a jamais demandé d’abolir le latin ni de révolutionner la direction de la prière liturgique...
Votre interview publiée par La Croix le 25 juin dernier et intitulée La Réforme Vatican II n’a jamais décollé a fait beaucoup de bruit. Pouvez-vous mieux expliquer vos jugements sur la réforme liturgique appliquée après le Concile Vatican II?
MGR RANJITH: Ces paroles ont été citées hors de leur contexte. Cela ne veut pas dire que je juge négativement tout ce qui est arrivé après le Concile. J’ai dit en revanche que le résultat attendu de la réforme liturgique ne s’est pas manifesté. On se demande si la vie liturgique et la participation des fidèles aux fonctions sacrées sont plus élevées et meilleures aujourd’hui que dans les années Cinquante. On a critiqué le fait qu’avant le Concile, les fidèles ne participaient pas vraiment à la messe, mais y assistaient passivement ou en se livrant à des dévotions personnelles. Mais peut-on dire qu’aujourd’hui, les fidèles participent de manière spirituellement plus élevée et plus personnelle? Est-il vraiment arrivé que les nombreuses personnes qui étaient restées hors de l’Église se soient mises à faire la queue pour entrer dans nos églises? Ou n’est-il pas plutôt arrivé que beaucoup de gens se soient éloignés et que les églises se soient vidées? Alors, de quelle réforme parlons-nous?
C’est la faute de la sécularisation...
MGR RANJITH: Certainement, mais cette situation est aussi le fruit de la manière dont a été traitée ou mieux, maltraitée la liturgie... en pratique, selon moi, les expectatives sacro-saintes du Concile, d’une liturgie mieux comprise et donc spirituellement plus féconde, n’ont pas été satisfaites. Il y a donc encore beaucoup à faire pour que les églises se remplissent de nouveaux fidèles qui se sentent vraiment touchés par la grâce du Seigneur pendant les saintes liturgies. Dans un monde sécularisé, au lieu de chercher à élever les cœurs vers la grandeur du Seigneur, on a plutôt cherché, je crois, à abaisser les mystères divins au niveau de la banalité.
Mgr Ranjith, qui vient d’être consacré évêque auxiliaire de Colombo, est accueilli dans sa paroisse d’origine

Mgr Ranjith, qui vient d’être consacré évêque auxiliaire de Colombo, est accueilli dans sa paroisse d’origine

Lorsque vous avez été nommé secrétaire au Culte divin, on a écrit que vous aviez d’excellents rapports avec les disciples de Mgr Lefevbre. Est-ce vrai?
MGR RANJITH: La différence d’âge a fait que je n’ai pas connu Mgr Marcel Lefevbre, parce que c’était un homme d’une autre époque, mais j’ai certainement eu des rapports avec quelques-uns de ses disciples. Je ne suis pas pour autant un fanatique de leur mouvement. Ils ne sont malheureusement pas encore rentrés dans la pleine communion avec le Saint-Siège, mais ce qu’ils disent quelquefois sur la liturgie, ils le disent en connaissance de cause. Ils représentent donc un aiguillon qui doit nous faire réfléchir sur ce que nous faisons. Ceci ne veut pas dire que je puisse être défini comme un adhérent ou un ami du mouvement de Mgr Lefebvre. D’ailleurs, je partage certains points de vue des mouvements anti mondialisation en ce qui concerne la justice sociale, mais celane veut pas dire que je fais partie de leurs adhérents... D’autre part, la messe tridentine n’est pas la propriété privée des disciples de Mgr Lefebvre, elle est un trésor de l’Église et de nous tous. Comme le Pape l’a dit à la Curie romaine l’an dernier, le Concile Vatican II n’est pas un moment de rupture, mais de renouvellement dans la continuité. On ne jette pas le passé aux orties, mais on grandit sur ce passé.
Ceci veut dire qu’en réalité, la messe dite “de saint Pie X” n’a jamais été abolie?
MGR RANJITH: Le fait que la Sainte Église ait récemment approuvé l’institution à Bordeaux d’une société de vie apostolique de droit pontifical caractérisée par le fait qu’elle n’emploie que des livres liturgiques préconciliaires [il s’agit de l’Institut du Bon Pasteur où ont été réunis certains “transfuges” du mouvement de Mgr Lefebvre, ndr], montre de manière indiscutable que la messe de saint Pie X ne peut pas être considérée comme abolie par le nouveau missel dit de Paul VI.


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